Le CORAF est une organisation importante qui travaille à améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle en Afrique de l'Ouest. Les initiatives récentes du CORAF sont un signe prometteur de sa détermination à relever les défis auxquels l'Afrique de l'Ouest est confrontée.
“Nous avons besoin de produire cinq fois plus de nourriture en Afrique” Directeur sous régional du FIDA
Publié le : 24/10/2019
Le Directeur sous régional du Fonds international de développement agricole (FIDA) pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre a déclaré que la production alimentaire doit augmenter de cinq fois pour répondre à la demande croissante. M. Thierry Benoît, qui réside au Sénégal, s’est récemment adressé à Agripreneur TV. Dans l’entretien qui suit, le représentant régional du FIDA parle des vastes possibilités qu’offre l’agriculture à la population jeune et croissante de l’Afrique. “J’aimerais encourager tous les jeunes d’Afrique à s’impliquer dans l’agriculture “, a déclaré M. Benoît. Dans l’interview qui suit, il parle du rôle de son organisation dans la sécurité alimentaire et nutritionnelle en Afrique, parmi de nombreuses autres questions de grande portée. Lisez l’intégralité de l’interview ci-dessous.
CORAF : Vous êtes le directeur sous régional et représentant du Fonds International de Développement Agricole FIDA, une institution spécialisée du système des Nations Unies. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vos activités ?
Thierry Benoît : Le FIDA est une agence des Nations unies qui a pour objectif de lutter contre la pauvreté rurale et à la particularité, dans l’application des Objectifs de Développement Durables (ODD), de travailler uniquement sur le secteur agricole au même titre que d’autres banques de développement tel que la Banque Mondiale et la Banque Africaine de Développement. Le FIDA est donc à la fois une agence spécialisée des Nations Unies et une institution financière internationale. Aujourd’hui, le FIDA compte 177 pays membres, et est actif dans 100 pays à travers environ 250 projets en cours. Ces projets à l’échelle des pays, d’un montant de 30 à 50 millions de dollars chacun, visent les paysans les plus vulnérables et les aident à : (i) sortir de la pauvreté ; (ii) améliorer leur bien-être ; et (iii) moderniser leur agriculture afin qu’ils puissent mieux répondre aux besoins de leurs familles.
CORAF : Et qu’en est-il de votre intervention en Afrique, précisément au Sénégal ?
Thierry Benoît : Le siège du FIDA est situé à Rome où l’on retrouve toutes les agences des Nations unies spécialisées dans l’agriculture. Depuis ces dix dernières années, le FIDA a commencé un processus de décentralisation en Asie en Amérique latine et en Afrique. En Afrique, trois bureaux régionaux pour l’Afrique de l’Ouest et centrale et trois autres en Afrique de l’Est et australes ont été mis en place. Pour l’Afrique de l’Ouest, le bureau régional basé à Dakar est très actif au Sénégal et au Mali et couvre également la Mauritanie, la Gambie, la Guinée, la Guinée Bissau et le Cap-Vert.
CORAF : L’entrepreneuriat agricole en Afrique prend plusieurs formes. Comment la définiriez-vous ?
Thierry Benoît : L’entrepreneuriat c’est avant tout avoir l’esprit de l’entreprise ! C’est la volonté de concevoir un produit ou un service et d’être en mesure de le développer soit même de A-Z. En d’autres termes, lorsque l’on souhaite produire quelque chose, il faut être également capable de le transformer et de savoir le vendre.
Vous pouvez regarder l’entretien complet dans cette video.
CORAF : L’Afrique compte aujourd’hui plus de 200 millions de jeunes. Quelles stratégies en matière de création d’emplois peuvent être développées pour permettre au continent d’exploiter le potentiel de cette jeunesse qui est grandissante ?
Thierry Benoît : Les gouvernements doivent vraiment investir dans cet aspect en proposant des stratégies claires pour la jeunesse, en développant la formation qui est cruciale. Les taux de scolarisation en primaire, au secondaire et en formation professionnelle doivent être améliorés d’une part, car ils font partie des objectifs de développement adoptés par les pays membres (Nations Unies) et d’autre part pour renforcer l’ancrage. Si un jeune a les bases dans les disciplines de mathématique, français, d’histoire de son pays, et un peu en management, il a le bagage pour monter une entreprise. À l’inverse, s’il a des problèmes d’alphabétisation c’est dès le début beaucoup plus compliqué.
Ensuite, la formation professionnelle est très importante. Il est nécessaire que des jeunes aillent à l’université ou en école supérieure, car en réalité pour former un entrepreneur il suffit de quelques mois d’apprentissage et de formation théorique. À travers un apprentissage moderne, chez un bon chef d’entreprise, en quatre à six mois on peut arriver à former un très bon professionnel. On peut donc imaginer que si ce type de stratégies étaient mises en œuvre pour les millions de jeunes mentionnés, l’apprentissage permettrait d’accélérer grandement l’insertion de jeunes professionnels dans le monde du travail.
Pour l’installation des entrepreneurs eux-mêmes, cela demande également un appui en formation, un accès aux crédits, et un renforcement de capacité technique. Il est nécessaire que les jeunes qui travaillent dès à présent dans le secteur OU qui ont commencé à entreprendre leur activité soient appuyés en priorité.
CORAF : Quelles sont les opportunités aujourd’hui qui s’offrent aux jeunes dans ce secteur ?
Thierry Benoît : Les opportunités pour les jeunes sont nombreuses et l’autoentrepreneuriat sera la clé. Le FIDA a déjà travaillé sur ces aspects à travers « le potentiel de l’agriculture africaine », ou bien le partenariat avec la FNDASP au Sénégal, notamment sur les interprofessions. Ici, le partenariat avec les interprofessions est quasi incontournable, car elles ont la capacité de regrouper toutes les personnes qui travaillent sur une même filière.
Autrefois, les différentes institutions de développement se focalisaient principalement sur la production agricole et la petite transformation. Grâce à l’interprofession et à son émergence, on arrive à lier tous les acteurs de l’amont jusqu’à l’aval de la filière et à faire en sorte qu’ils puissent réellement réaliser des profits. Sur ce point, le FIDA a des dizaines de milliers de cas au Sénégal, au Mali, au Cameroun, à Madagascar, où de telles activités ont pu être mises en place avec les organisations paysannes.
CORAF : Récemment le FIDA a lancé un concours mondial totalement novateur dans les domaines de la danse. Il propose aux jeunes de se bouger pour que ça change. Alors, pourquoi utiliser la danse pour sensibiliser à davantage d’investissements dans la jeunesse et le développement rural ?
Thierry Benoît : Cette action est toute récente et fonctionne très bien. C’est un mixte entre un sujet qui intéresse les jeunes et que l’on utilise aussi pour atteindre le système des Ambassadeurs de bonne volonté des Nations unies. Ici, c’est une chorégraphe et artiste du Rwanda ; qui travaille à Londres et à New York, qui a accepté de venir appuyer le FIDA pour mettre au point cette activité. L’idée était de pousser les jeunes à faire une danse reliée à l’agriculture et de poster leurs vidéos sur les réseaux sociaux. Il y a eu des milliers de contributions et le fait que ce soit lié à l’agriculture a poussé les jeunes à réfléchir dans quelle mesure l’agriculture les intéresse ou non ? Et comment les jeunes citadins sont liés avec le monde rural ?
CORAF : La dance, l’afro-beat est quelque chose qui attire beaucoup les jeunes. Pensez-vous que c’est une stratégie qui marche ?
Thierry Benoît : Cette stratégie permet effectivement d’éveiller le dialogue chez les jeunes. La finalité étant de définir les voies et les orientations qu’ils vont choisir en termes de types d’agricultures (traditionnel, moderne…), besoins de mécanisations, organisation, etc.
Par exemple si l’on prend des secteurs comme la mangue, la noix de cajou ou l’ananas, les productions sont élevées, mais l’organisation des filières pose problème. Ce manque d’organisation se traduit par des pertes importantes pour des produits qui auraient pu être transformé en jus ou en concentré avant qu’ils pourrissent, ou bien qui auraient pu être vendu sur d’autres marchés (régionaux ou export) si les marchés locaux sont saturés. Dans les deux cas, l’intermédiation permettrait de trouver des solutions adéquates à tous les niveaux de la filière en proposant des produits transformés ou des canaux de commercialisation différents.
CORAF : En parlant de transformation, cela demande beaucoup de moyens notamment l’acquisition du matériel qu’il faut pour transformer, etc. Est-ce que ce n’est pas un secteur qui pourrait effrayer un peu les jeunes pour des raisons de financement ?
Thierry Benoît : Il y a des technologies à tous niveaux que l’on peut observer sur les différents projets. À titre d’exemple, les groupes de femmes suivies par le FIDA notamment sur Kaolack, Diourbel et Kaffrine, ont diversifié leurs activités traditionnelles sur l’arachide, le mil, le sésame et le maïs. Le FIDA les a appuyés dans un premier temps à transformer leurs productions traditionnelles avec de petites machines peu onéreuses. Dans un second temps, une fois que ces femmes ont appris notamment à concasser le maïs, traiter le sésame, et à mettre en sachet plastique, elles sont appuyées dans la commercialisation de leurs productions.
À ce niveau, l’interprofession (préalablement énoncé) permet de passer à un niveau supérieur. En d’autres termes, si vous produisez 100-500 kilogrammes, mais que le client recherche 500 ou 1000 tonnes, vous avez besoins des commerçants et autres investisseurs pour pouvoir répondre au marché.
Enfin, il y a l’investissement dans des « mini usines » de manière à ce qu’on puisse avoir un équipement plus conséquent. Pour ça, il est nécessaire d’avoir accès au crédit et des liens sont montés entre groupements de paysans et investisseurs.
Il est nécessaire que les industriels soient également accompagnés pour développer de nouveaux modèles de contractualisation. Par exemple, en fonction de ses besoins et de ses attentes, plutôt que de créer une plantation de 3000 hectares, l’industriel sera incité à travailler avec 3000 paysans qui disposent chacun d’un hectare
CORAF : est-ce un peu comme les plateformes d’innovation ?
Thierry Benoît : Tout à fait. Des plateformes d’innovation où les partenaires peuvent discuter. Ce concept d’agriculture contractuelle en réalité, permet aux industries et aux petits paysans de travailler ensemble, en se mettant d’accord sur le produit, en souhaitant avoir un cahier des charges qui leur convienne. Producteurs et acheteurs peuvent s’accorder sur la qualité recherchée et la quantité souhaitée en début de campagne. Ainsi, le marché est assuré et le paysan rassuré.
La partie transformation peut être réalisée de la même manière, et être sous-traitée par un autre acteur de la filière. Le contrat établi garantit au paysan un paiement adéquat pour son travail.
CORAF : Est-ce cela que vous faites au niveau des communautés rurales ?
Thierry Benoît : Entre autres, Le FIDA essaie d’améliorer cela afin d’avoir un bon équilibre du contrat. L’agriculture contractuelle est en train de grandir partout en Asie, en Afrique de l’Est, et en Afrique de l’Ouest. Ceci paraît être une bonne solution pour faire la transition entre l’agriculture traditionnelle et l’agriculture moderne.
Dans ce sens, le FIDA développe deux projets vraiment très intéressants ; le projet FIER au Mali, qui depuis cinq ans travaille avec des milliers de jeunes qui avaient déjà entrepris une activité par eux-mêmes. Le projet les aide à identifier les points de blocages et les différents leviers et besoins (formation, crédit, etc.) pour développer leurs microentreprises .
Le projet « Agri Jeune », qui sera prochainement lancé au Sénégal, vise les mêmes objectifs en appuyant les jeunes Agri-preneurs.
Le projet s’inscrit dans “l’esprit d’entreprise” et ira au-delà des aspects de la simple production ce qui sera d’autant plus attractif pour les jeunes. De plus, le projet Agri Jeune aura également toute une composante sur les outils numériques, de manière à ce qu’il y ait des communautés pratiques sur les réseaux sociaux et l’utilisation d’applications propres à l’agriculture. Il faudrait également aller au-delà pour que notamment la contractualisation entre producteurs et opérateurs de marchés passe par des plateformes numériques et des applications digitales. Par exemple, le projet identifie les zones de production des mangues, les acheteurs, et les transformateurs. Le projet les met en lien les différents acteurs, ils reçoivent des propositions de prix, et signent un contrat basé sur une quantité et une qualité recherchée.
CORAF : Nous savons que le FIDA, comme vous l’avez mentionné dès le départ, aide les petits agriculteurs et leurs organisations à obtenir un meilleur accès à des technologies appropriées au marché. Mais pour les jeunes Sénégalais, comment en milieu rural peuvent-ils accéder à vos financements ?
Thierry Benoît : Effectivement c’est une bonne question. Il faut savoir que les jeunes ne peuvent pas venir au bureau régional du FIDA pour demander un financement ; tout passe par les projets. Ils sont sous forme de prêts aux gouvernements. Ainsi, le gouvernement met en place un programme/projet, et ce programme/projet est mis en oeuvre sur le terrain par plusieurs partenaires. Ces partenaires peuvent être des services publics, des ONG, des services privés, des entreprises privées, ou des organisations paysannes. C’est par ce biais-là que le FIDA atteint les bénéficiaires et partenaires.
En termes de personnes touchées, on peut citer notamment le projet PADAER, basé à Tambacounda, qui a touché près de 300 000 bénéficiaires. Le projet PAFA-E, basé à Kaolack et qui couvre Louga, Diourbel et Kaffrine, a touché à peu près 200 000 bénéficiaires. Au vu de la taille des projets, des conventions sont signées avec les partenaires afin qu’ils interviennent directement au niveau des villages. Les jeunes peuvent donc se présenter à ces partenaires d’exécution.
CORAF : Pour finir, avez-vous un message à la jeunesse Africaine ?
Thierry Benoît : Je voudrais vraiment encourager toute la jeunesse d’Afrique et aussi de l’Afrique de l’Ouest à s’engager dans l’agriculture. Beaucoup de gens ont pensé que l’agriculture était quelque chose de dépassé. Or en réalité c’est la première richesse de ces pays car avec l’augmentation de la population, nous aurons besoin de produire cinq fois plus de nourriture en Afrique, ce qui demandera également énormément d’énergie. Nous sommes donc sûrs qu’un jeune qui souhaite s’installer comme exploitant agricole aura un avenir prometteur dans un secteur très porteur.
J’encourage donc les jeunes à se lancer dans une activité agricole qui, avec les outils modernes que nous avons évoqué précédemment tel que le crédit, le numérique, l’irrigation modernisée, la transformation, etc., sera beaucoup plus rentable que par le passé.
Dans ce sens, j’invite également les jeunes à reconsidérer leur activité en ruralité. De nos jours, on peut vivre au village de la même manière que d’autres vivent en ville, avec les moyens de transport, l’électricité, l’internet, la télévision, et tous les services modernes.
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