Le CORAF est une organisation importante qui travaille à améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle en Afrique de l'Ouest. Les initiatives récentes du CORAF sont un signe prometteur de sa détermination à relever les défis auxquels l'Afrique de l'Ouest est confrontée.
« Le Burkina Faso peut réduire considérablement son importation du riz » dixit un chercheur
Publié le : 04/05/2020
Le riz est l’un des principaux aliments de base au Sahel et dans toute l’Afrique de l’Ouest. Sa production et sa transformation durables sont cruciales pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle de la région.
Le Burkina Faso, un pays enclavé d’environ 20 millions d’habitants, dépend principalement du riz et d’autres denrées de base comme le maïs, le mil, le sorgho et le blé.
Bien que la production globale de riz en Afrique de l’Ouest ait augmenté au cours de la dernière décennie, elle n’est pas proche de l’objectif régional d’autosuffisance en riz. Cela signifie que de nombreux pays ont recours à l’importation de riz pour répondre à la demande locale. C’est le cas au Burkina Faso comme dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest.
Grâce au système d’intensification de la riziculture, le CORAF et ses partenaires nationaux ont apporté une contribution significative à l’ambition régionale de produire suffisamment de riz pour la région. Mais, les efforts sont encore insuffisants dans certains pays.
Les chercheurs de l’Institut National de l’Environnement et de la Recherche Agricole (INERA) du Burkina Faso travaillent d’arrache-pied pour concevoir de nouvelles variétés qui soient non seulement à haut rendement, mais aussi plus rentables et plus nutritives. C’est le cas du Dr Valentin Edgard Traoré, Sélectionneur de Riz à l’INERA. Dans l’interview suivante, il parle des dernières découvertes de la recherche et de la façon dont cela pourrait contribuer à réduire les importations de riz au Burkina Faso. Lisez la suite…
Pourquoi avez-vous pensé à créer de nouvelles variétés de riz alors qu’il existe déjà plusieurs variétés de riz au Burkina Faso et dans la sous-région ?
Dr Traoré : Mes ambitions pour la création et l’amélioration variétale du riz sont de longues dates et remontent du temps où je travaillais plutôt dans le domaine de la phytovirologie. En 2009, j’ai eu le privilège de bénéficier du programme PhD au « West African Center for Crop Improvement (WACCI) » ; financé par l’Alliance pour la Révolution Verte en Afrique (AGRA). Ce fut un défi et en même temps une grande opportunité pour moi. Avec mon background de pathologiste, j’étais convaincue que l’acquisition de connaissances supplémentaires en génétique et en sélection végétale pourrait m’aider à développer de nouvelles variétés de riz à haut rendement, résistantes et tolérantes aux maladies et préférées des agriculteurs et consommateurs.
En effet, entre 1996 et 2005, j’ai réalisé beaucoup de criblages variétaux pour la résistance et la tolérance à la panachure jaune du riz qui est la plus redoutable maladie virale du riz en Afrique, responsable de perte de récoltes de 20 à 100% en cas de fortes épidémies. Cette maladie est causée par le « Rice Yellow Mottle Virus (RYMV) ». Les résultats de nos travaux ont permis de confirmer et/ou d’identifier des sources de résistance partielle et de résistance totale dans plusieurs lignées de riz, essentiellement dans des variétés de type Glaberrima ou Sativa de type Indica. Cependant la quasi-totalité des variétés préférées et cultivées par les producteurs se sont montrées hautement susceptibles au RYMV. Il faut tout de même reconnaître que nos ainés dans le domaine ont abattu un gros travail de sélection variétale qui a permis à l’INERA de vulgariser plus d’une soixantaine de variétés de riz au Burkina Faso. Ces variétés communément appelées FaraKobaRiz ou FKR sont classées en une série de FKR suivie de nombres paires pour le système irrigué/basfond et une série de FKR suivie de nombre impaires pour le système pluvial. Il y a eu donc des chercheurs seniors qui ont produit beaucoup de résultats, fort heureusement. Le Programme riz continue de générer beaucoup de technologies qui semblent satisfaire les producteurs, mais aussi les consommateurs finaux. Parmi la soixantaine de variétés disponibles, seulement une dizaine sont couramment cultivées à travers le pays ; il s’agit principalement des variétés FKR18 ou SC27, FKR19, FKR56N, FKR60N, FKR62N, FKR64 ou TS2, FKR84 ou Orylux6, FKR45N, FKR47N, NERICA4…. La plupart de ces variétés sont vielles de plus de 10 ans et ne tiennent plus forcément compte des contraintes émergentes dans ce contexte de changement climatique. De plus, malgré que la plupart de ces variétés se démarquent avec des potentiels de rendements de 5 à 7 tonnes à l’hectare, les rendements moyens enregistrés chez nos producteurs se situent toujours parmi les plus bas en Afrique ; entre 2 et 3 tonnes à l’hectare. Aussi, plusieurs études ont montré que nos producteurs n’arrivent pas à satisfaire la demande du marché en termes de quantité et de qualité de paddy.
C’est dans cette logique que nous avons jugé bon de nous investir dans la création et la vulgarisation d’une nouvelle génération de variétés à haut rendement, plus résilientes et répondant à la demande actuelle des producteurs et consommateurs. C’est ainsi que dans le cadre de mes travaux de PhD qui ont effectivement démarré sur le terrain en 2010, j’ai opté pour la création variétale participative afin de répondre directement aux besoins spécifiques de nos producteurs en termes de variétés de riz.
Comment vous vous y êtes pris pour aboutir à ces nouvelles variétés de riz ?
Dr Traoré : La démarche participative a nécessité la conduite d’une étude de « Participatory Rural Appraisal (PRA) ». Les conclusions de cette étude nous ont permis : (i) de recenser les principales variétés de riz cultivées dans deux principales zones rizicoles du pays (Banzon et Mogtédo) ; (ii) de classer ces variétés en fonction de la préférence des producteurs et consommateurs ; (iii) et enfin de recenser les principaux critères de préférence pour les variétés de riz. Cette démarche nous a guidé pour le choix des lignées parentales qui ont été utilisées pour les croisements avec des lignées résistantes/tolérantes au RYMV identifiées grâce aux tests de criblage variétal. Ensuite nous avons réussi à obtenir des croisements à succès avec 16 couples de lignées parentales. Les génération F2 obtenues à partir de ces croisements ont été soumises à la technique de Sélection par Filiation Monograine en anglais « Single Seed Descent, (SSD) » que nous avons modifiée dans le but de générer 3 générations par an. Le processus de sélection variétal qui a commencé à partir des générations F5, nous a permis de générer plusieurs lignées recombinantes prometteuses. En 2015, nous avons encore bénéficié d’un soutien de AGRA à travers le PASS-027–2015 pour le financement d’un projet dénommé « Development of farmers’ preferred rice varieties resistant to Rice yellow mottle virus (RYMV) and participatory varietal selection (PVS) in Burkina Faso ». Dans le cadre ce projet, une vingtaine de lignées recombinantes ont été évaluées pour les DHS et VATE. En 2019, quatre (04) variétés baptisées KamBoisinRiz ou KBR ont été soumises au Comité National de Semences pour inscription dans le catalogue national des espèces et variétés agricoles du Burkina Faso.
Pouvez-vous nous présenter les caractéristiques de ces nouvelles variétés ? Et en quoi sont-elles différentes des autres variétés de riz ?
Dr Traoré : Les quatre variétés soumises pour inscription sont respectivement KBR2 ou Massamalo, KBR4 ou NongSaamè, KBR6 ou Bitonkini et KBR8 ou Mouifiida. Ces nouvelles variétés se démarquent des autres variétés par plusieurs traits :
Plusieurs tests de dégustation ont été conduits afin de comparer les KBR avec une des variétés préférées par la majorité des consommateurs du Burkina qui s’avère être la FKR64 ou TS2 ou encore riz de Bagré. Les KBR ont été toujours mieux appréciées ou dans le pire des cas, jugées équivalentes à la variété TS2-témoin.
Combien de temps ont duré vos travaux de recherche et quelles ont été les difficultés et contraintes tout au long du processus ?
Dr Traoré : Les recherches ont duré cinq (05) ans depuis le choix des lignées parentales jusqu’à l’obtention des lignées recombinantes. Ensuite il a fallu trois (03) ans de plus pour conduire les tests de DHS/VATE (DHS = Distinction-Homogénéité-Stabilité / VATE = Valeur Agronomique, Technologique et Environnementale) et boucler les dossiers de soumission pour inscription dans le catalogue en 2018. Les difficultés et contraintes n’ont pas manqué au rendez-vous. De prime abords, il faut noter un manque criard de techniciens qualifiés pour soutenir les activités de recherche. Il faut négocier en conséquence des contrats à durée déterminée (CDD) pour avoir l’appui de techniciens de recherche. Ce type de techniciens après avoir bénéficié de formations et d’expériences pratiques n’hésite pas à démissionner pour se tourner vers des emplois plus stables. Aussi, il faut souligner des difficultés liées au financement des activités de terrain surtout pour les évaluations VATE et PVS. Il a fallu le soutien financier de AGRA pour aboutir à la soumission de ces 4 variétés de la série des KBR. Plusieurs autres variétés prometteuses sont encore dans les tiroirs en attendant les financements nécessaires pour les amener dans les mains des producteurs.
Comment les producteurs ont-ils réagi face à ces nouvelles variétés ?
Dr Traoré : La réaction des producteurs de riz de Banzon et surtout des producteurs de Di, Niassan, Débé au Sourou était des plus encourageante. Les faibles rendements (2 à 3 t/ha) au Sourou avaient poussé plusieurs producteurs à se tourner vers la production d’oignon qui avait le vent en poupe grâce aux débouchés sur le marché ivoirien. Cependant, les promesses de rendements avec la série des KBR pouvant atteindre et même dépasser les 9 t/ha avec les premières évaluations variétales participatives ont contribué à ramener plusieurs producteurs à la production rizicole.
Qu’est ce qui est prévu pour faciliter l’accès à grande échelle des producteurs à ces nouvelles variétés de riz ?
Dr Traoré : En rappel, les variétés de riz de la série des KBR ont été développées suivant une démarche participative. Plus de 120 producteurs ont été impliqués dans les tests VATE couplés avec la sélection variétale participative (PVS). De plus, plusieurs tests de démonstration variétales ont été conduits dans le cadre d’un autre projet organisé en CONSORTIUM RIZ_BREP, financé par AGRA en 2018 (Competitive & Inclusive Rice Value Chain Development : Rice Marketing and Production Systems Enhancement Project). Couvrant les campagnes sèches et humides 2018 et 2019, ces tests de démonstration variétales ont permis de comparer les 4 variétés à haute valeur commerciale du projet BREP que sont FKR60N, FKR62N, FKR64 et FKR84 avec plusieurs variétés de la série des KBR (KBR2, KBR4, KBR6, KBR8, KBR10, KBR12, KBR14, KBR16 et KBR18). En rappel, seules les variétés KBR2/4/6 et 8 ont été soumises pour inscription.
Bien que les variétés de la série des KBR ne soient pas encore formellement inscrites dans le catalogue national, plusieurs producteurs dans différentes zones de production rizicole ont déjà adopté ces variétés qu’ils produisent pour leur consommation courante.
Avez-vous un appel ou un conseil à lancer aux producteurs et aux acteurs du secteur rizicole ?
Dr Traoré : J’aimerai attirer l’attention des producteurs et aussi celui des autres acteurs de la chaine de valeur riz sur le problème de la qualité du riz national.
La qualité du riz sur le marché est strictement liée à la qualité de la matière première qu’est le paddy. La qualité du paddy à son tour peut être affectée par des problèmes de mélanges de variétés plutôt que de la qualité intrinsèque des variétés cultivées. Il faut rappeler que la qualité du paddy est liée à la qualité de la semence utilisée. En rappel, la semence compte pour plus de 40% dans le rendement de production et la réutilisation systématique des récoltes sous forme de semence peut affecter aussi bien la qualité du paddy mais aussi le potentiel de rendement de la variété. Il est donc préférable que les producteurs s’efforcent de se procurer la semence certifiée auprès des professionnels de la semence. En tant que Chercheur, j’ai beaucoup travaillé avec les producteurs sur plusieurs années. J’ai foi que notre filière riz peut connaître un réel boom tout en faisant correspondre l’offre à la demande du marché. Pour cela, il faudrait que tous les acteurs de la chaine de valeur riz s’impliquent et travaillent en synergie pour relever le défi. J’ai également foi que le Burkina Faso peut réduire considérablement la facture d’importation du riz. Cela est possible et c’est pour cela que la Recherche continue d’innover.
Ce qu’ils ont dit à propos des variétés
SAWADOGO Albert (Producteur semencier à la Vallée du Kou) : Je connais les variétés KBR. C’était vraiment une découverte pour nous producteurs de la plaine de Bama. Nous les expérimentons ici depuis plus de deux campagnes. Nous sommes pressés de pouvoir les produire en remplacement des vieilles variétés.
OUEDRAOGO Zakaria (Producteur) : Nous produisons beaucoup de variétés de riz, parmi lesquelles le riz chinois. Depuis quelques temps, il y a une nouvelle variété appelée KBR que nous sommes en train d’adopter. Elle est en expérimentation et nous sommes satisfaits de sa rentabilité à l’hectare. Elle produit plus et en plus elles sont très bonnes à manger.
KOBYAGDA Soumaila (Agent de vulgarisation) : Les KBR figurent parmi les variétés prisées par les producteurs. Nous avons expérimenté la KBR12 pendant 2 campagnes consécutives. Au cours de la dernière campagne nous avons expérimenté la KBR8 qui présente clairement des atouts appréciables par rapports aux anciennes variétés. Ces variétés KBR peuvent aller jusqu’à 10 tonnes à l’hectare, voire plus si le paquet technologique est respecté.
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